1 OU 2 JOURS POUR ATTEINDRE ALESIA ?

 

Altero die, demain sera un autre jour …

 

 

 

PRESENTATION

 

 

Peu avant le début du siège d’Alésia, une attaque de la cavalerie gauloise surprend l’armée romaine en marche[1]. Selon le texte même de César le lieu de cette bataille de cavalerie est proche d’Alésia. Si ce lieu n’existe pas à proximité d’Alise-Sainte-Reine, celle-ci ne peut être Alésia.

Voir Et la bataille de cavalerie ?

Conscient de cette nécessité absolue, Napoléon III voulut localiser cette bataille mais ne trouva aucun endroit acceptable tout proche d’Alise-Sainte-Reine. « En effet, au nord et à l’est d’Alise-Sainte-Reine, à moins de deux jours de marche, le pays est tellement coupé et accidenté, qu’aucune bataille de cavalerie n’y est possible[2]. » Il opta donc pour la vallée de la Vingeanne, à deux jours de marche au moins d’Alise-Sainte-Reine. Michel Reddé se rallie également à cette nécessité de deux jours de marche.

Alors, un jour ou deux jours ? Et avec quelles conséquences ?

L’armée romaine parcourt entre 25 et 30 kilomètres par jour (le justum iter[3]), soit en deux jours 50 ou 60 kilomètres. C’est cette dernière distance qui permet d’élargir les recherches et par exemple de proposer la vallée de la Vingeanne. Mais que dit César sur ce point précis et décisif pour Alise-Sainte-Reine ?  

 

EN REALITE

 

Le texte de César

 

Immédiatement après la bataille de cavalerie, César: « … altero die ad Alesiam castra fecit[4]. »

 

Le surlendemain

 

        Napoléon III traduisit : « César… campa le surlendemain devant Alésia[5]. »

        Michel Reddé écrit de même : « … le surlendemain, il établit son camp devant Alésia … il a fallu un (ou deux) jours de marche à Vercingétorix pour rejoindre l’oppidum des Mandubiens après l’échec de ses troupes[6]. » Une remarque en passant : supposer que Vercingétorix pourrait mettre deux jours pour gagner Alésia alors que César pourrait n’en mettre qu’un ferait arriver le Romain avant le Gaulois, grand désordre pour organiser le siège ! A vouloir trop prouver…

 

Le lendemain

 

Tout d’abord, il existe en latin pour désigner le surlendemain une expression courante « perendino die » que César utilise[7]. On ne voit pas pourquoi il ne l’aurait pas utilisée ici pour exprimer tout simplement cette durée de deux jours si elle avait été réelle. Les autres traducteurs ne s’y trompent pas :

Léopold-Albert Constans, Désiré Nisard et Maurice Rat traduisent tous de la même façon par : « … le lendemain il campa devant Alesia. »

Jérôme Carcopino : « … et puisque dès le lendemain même de la mêlée, pour lui victorieuse, - Altero die -, César[8]… » 

        Joël Le Gall : « Cet altero die a fait couler beaucoup d’encre ; le sens de l’expression a été définitivement établi par René Durand, dans Mélanges Paul Thomas, 1939, pp. 214-228 ; le jour indiqué ne peut pas être le surlendemain de la bataille de cavalerie, mais le lendemain[9]. »

Christian Goudineau : « Vercingétorix prend peur pour son infanterie qu’il avait posté en avant de son camp : il la conduit dans une place forte des Mandubiens, Alésia. Le lendemain César campa devant Alésia[10]. » 

        Claude Grappin : « Le lendemain, César arrive devant l’oppidum[11]. »

        Jean-Louis Voisin : « Le lendemain, César campe devant l’oppidum[12]… »

        Yann Le Bohec : « Arrivé à la suite de son ennemi devant Alésia le lendemain, César campa à proximité. »

        Jean-Louis Brunaux : « Alors que le jour même de la bataille il avait pu gagner le Mont Auxois et y disposer son armée, il eut la surprise le lendemain d’y voir arriver les légions[13]… »

Cette traduction est tellement naturelle que M. Constans précise que « cette expression, que l’on retrouve en 68, 2, a le même sens que postero die[14] ». Or « postero die » signifie « le lendemain[15].» Cette note de M. Constans fait d’ailleurs directement écho à un passage de César dans La Guerre Civile[16] où les expressions « postero die » et altero die » sont utilisées dans une même phrase pour désigner le lendemain d’un même évènement.

  

L’exception

 

Il peut se rencontrer un cas où « altero die » ne signifie pas obligatoirement « le lendemain ». M. Reddé l’explique ainsi : « Altero die, dans une énumération[17], ne désigne pas nécessairement le lendemain comme traduit l’édition des Belles Lettres[18] : à preuve Cicéron, Phil., I, 32, dans l’expression « proximo, altero, tertio, reliquis consecutis diebus[19]».

1.           L’expression citée se trouve effectivement sans peine à l’article « alter » dans le dictionnaire Gaffiot qui la traduit ainsi : « le jour qui venait immédiatement après, le second, le troisième et tous les autres qui ont suivi. » Comme « proximo » désigne le premier jour de l’énumération, « altero » ne peut être que le deuxième, ce surlendemain qu’évoque M. Reddé.

2.           Peut-on donner ce même sens à l’« altero die » de César ?  En l’absence dans son texte d’un « proximo » ou de tout au autre mot équivalent décalant « altero die » d’un jour, c’est impossible.

3.           Enfin et surtout, il convient de remarquer que dans le texte de César il n’y a pas d’énumération. L’expression « altero die » y est isolée entre le chiffrage des pertes gauloises et l’édification du camp romain sous Alésia. La citation de Cicéron est sans rapport avec le texte de César et ne démontre donc rien. 

 

Conclusion

 

        Un usage constant jusqu’à Napoléon III et ses travaux à Alise-Sainte-Reine donne à l’expression « altero die » le sens de « le lendemain ». C’est Napoléon III qui imagina la traduction « le surlendemain » pour la seule raison de l’éloignement excessif du site qu’il retint pour la bataille de cavalerie. Michel Reddé appuie cette invention d’un exemple hors sujet.

        Aucun élément du texte ne permet de traduire « altero die » autrement que par « le lendemain » ou « le jour suivant ». Ce point est établi par les traductions de L. A. Constans, J. Le Gall, M. Rat, C. Goudineau ; par les travaux de R. Durand ; par la synonymie avec « postero die » et par la stérilité du recours à une énumération inexistante. « Le surlendemain » ne peut se dire ici que « perendino die ». Il n’y a aucun moyen d’accroître le délai d’un jour fixé par César pour aller du lieu de la bataille de cavalerie à l’Alésia antique.

        Ce délai est bien d’une seule journée de marche. En tenant compte du justum iter, la distance entre le site de la bataille préliminaire de cavalerie et le site d’Alesia ne peut donc être au maximum que de 30 kilomètres et certainement beaucoup moins, la correction des désordres de la bataille qui a duré jusqu’à la nuit ayant dû au matin suivant réduire de plusieurs heures le temps consacré à la marche.

        Or à cette distance de moins de trente kilomètres, il est reconnu qu’aucun site ne permet d’attaque de cavalerie ni ne correspond même de loin à la description que donne César des lieux de cette bataille.

Si la bataille de cavalerie qui est liée intimement au siège d’Alésia n’a pas pu avoir lieu à proximité immédiate d’Alise-Sainte-Reine, celle-ci peut-elle être Alésia ? 

 

 

NOTES ET REFERENCES



[1] César, B. G., VII, 67.

[2] Napoléon III, La guerre des Gaules de César, Errance, 2001, p. 327.

[3] Selon Végèce. Voir Rambaud Michel. Les marches des Césariens vers l'Espagne au début de la guerre civile. In L'Italie préromaine et la Rome républicaine. I. Mélanges offerts à Jacques Heurgon. Rome : École Française de Rome, 1976. pp. 845-861,  (Publications de l'École française de Rome, 27).

[4] César, B. G., VII, 68.

[5] Ibid., p.125.

[6] Reddé Michel, Alésia, L’archéologie face à l’imaginaire, Errance, 2003, pp 44-45.

[7] Voir par exemple César, B. G., V, 30, 3 ou Cicéron, Mur., 27.

[8] Carcopino Jérôme, Alésia et les ruses de César, Paris, 1958, p. 214.

[9] J. Le Gall, E. de Saint-Denis, R. Weil et Abbé J. Marillier, Alesia, textes antiques et médiévaux; textes originaux et traductions, Les belles lettres, 1973, page 44.

[10] Goudineau Christian, César et la Gaule, Errance, 1990, p. 218.

[11] Grappin Claude, Le siège d’Alésia, Archéologia hors-série n°14, p. 15.

[12] Voisin Jean-Louis, Alésia, Un village, une bataille, un site, Editions de Bourgogne,  2012, p. 50.

[13] Brunaux Jean-Louis, Alésia, Les Journées qui ont fait la France, 27 septembre 52 av. J.-C., Gallimard, 2012, p. 70.

[14] César, B. G., VII, 68, dans l’édition latine préparée par Constans p. 268, note 1, Hachette, Paris, 1929.

[15] Quelques exemples tirés de Cicéron : Verr, 2, 41 – Sen. 26 – Tusc. I, 31…

César, Bellum Civile, III, 19, 4 : " Responsum est ab altera parte Aulum Varronem profiteri se altera."

[16] die ad colloquium uenturum atque una uisurum, quemadmodum tuto legati uenire et quae uellent exponere possent; certumque ei rei tempus constituitur. Quo cum esset postero die uentum, magna utrimque multitudo conuenit » Ce qui se traduit par : « On répondit de l'autre rive que Aulus Varron promettait de se rendre le lendemain à l'entrevue ; en même temps l'on convint du lieu où les députés pourraient, de part et d'autre, être envoyés en toute sûreté et proposer ce qu'ils jugeraient convenable ; l'heure de l'entretien fut également fixée. Le lendemain on accourut en foule des deux côtés à l'endroit convenu. » « Altero die » et « postero die » désignent le même jour et sont tous deux rendus par « le lendemain ».

[17] Souligné par nous.

[18] Les Belles lettres publient la traduction de Constans.

[19] Texte entier : « Quo senatus die laetior, quo populus Romanus? Qui quidem nulla in contione umquam frequentior fuit. Tum denique liberati per uiros fortissimos uidebamur, quia, ut illi uoluerant, libertatem pax consequebatur. Proximo, altero, tertio, denique reliquis consecutis diebus, non intermittebas quasi donum aliquod cotidie afferre rei publicae, maximum autem illud, quod dictaturae nomen sustulisti. »