LA TOPONYMIE

  

Quand un i essaie de se faire passer pour un e…

 

 

ARGUMENTS DU MUSEOPARC

EN REALITE

Que dit la toponymie ?

Alesia : une racine oronymique (montagne) ?

Alisia : une racine hydronymique (eau) ?

Alise, une ville d’eaux ?

CONCLUSION

NOTES ET REFERENCES

 

 

 

ARGUMENTS DU MUSEOPARC

 

        « L'inscription in Alisiia : le nom gaulois de l’oppidum était Alisiia et ce nom indigène a survécu tout au long de l’époque gallo-romaine, au moins localement. Il est attesté par l'inscription en langue gauloise “In Alisiia”, trouvée en 1839 sur le Mont-Auxois et datée du milieu du Ier siècle après J.-C. Cette inscription est une dédicace qui prenait place à l’entrée du monument d’Ucuetis, au nord du forum de la ville gallo-romaine. 

         Les tessères des Alisienses : il existait également en Gaule romaine des jetons en plomb, présentant la forme de monnaies, appelés “tessères”. Ils portaient en général l'image d'une divinité au droit et le nom d'un peuple, le plus souvent abrégé, au revers. Plusieurs tessères frappées au nom des Alisienses, les habitants d’Alisiia aux IIe et IIIe siècles, ont été découvertes à Alise-Sainte-Reine. Leur légende (ALI ou ALISIENS) confirme le nom des habitants, et par conséquent celui de l'agglomération [1]. »

        Pour Jean-Louis Voisin, le mot d’origine celte Alisia et le mot d’origine latine Alesia désignent un seul et même lieu : Alise-Sainte-Reine [2].

 

 

 

En réalité

 

Que dit la toponymie ?

 

        Qu’il existerait une racine celtique ales désignant la montagne (racine que l’on retrouve dans falaise) et une racine préceltique alis désignant la source. On comprend alors mieux la distinction, entre Alise qui a toujours été une ville d’eau, et Alésia qui signifie hauteur escarpée [3].

        Stéphane Gendron : « Je ne crois pas que le nom d’Alésia soit celtique … Alise a pris le nom de la source [4]. »

        Michel Reddé : « Au demeurant, Alise, à cette époque, était célèbre pour ses eaux guérisseuses, dont la réputation remonte sans aucun doute à l'époque celtique, comme c'est souvent le cas en Gaule [5]. »

        Paul Lebel : « Le même problème se pose avec la célèbre Alésia, aujourd'hui Alise-sainte-Reine. L'oppidum que Jules César assiégea en 52 avant J.-C, provient-il d'une racine préceltique *ales désignant la montagne ? D'une autre racine désignant la source, *alis ? Il est vrai que le village possède une source minérale qui fut longtemps exploitée [6]. »

 

ALESIA : une racine oronymique (montagne) ?

 

        La racine indo-européenne pal a donné al en langue celtique par la disparition du p.

        Ales, montagne, se retrouve dans :

-          le mot français falaise,

-          le mot haut-allemand felisa,

-          le mot allemand fels (roche),

-          le mot latin palatium, hauteur (le mont Palatin) [7].

        Le e d’Alesia est un e long, comme l’indiquent le e cédillé de certains manuscrits de la Guerre des Gaules, et les traductions du e en êtha par les auteurs grecs. Un e bref peut donner un i, comme ceresia en latin a donné le mot cerise. Un e long qui se transforme donne ei puis oi comme ceruesia en latin a donné le mot cervoise. Alesia, avec un e long, n’a donc pas pu évoluer en Alisia [8].

La description du site d’Alésia est faite en ces termes par César et Strabon : « hauteur très élevée [9]… ».

        De plus, César écrit « Alésia Mandubiarum [10] », ce qui nous invite à penser que le mot Alésia est peut-être un nom commun, et donc que l’Alésia des Mandubiens est une Alésia parmi d’autres.

 

ALISIA : une racine hydronymique (eau) ?

 

        Pour Ernest Nègre : «  Alisia qui a dû désigner d'abord la source [11].»

         La racine préceltique alis se retrouve dans le nom de la divinité des sources Alisanus dans les noms de lieux en rapport avec l’eau, ou dans des noms de rivières.

        Alisanus est le nom de la divinité des sources [12]. Le mot a été découvert sur trois inscriptions antiques, à Couchey, à Viévy et à Aix-en-Provence.

        Sur la patère en bronze trouvée à Couchey en Côte d'Or en 1853, est inscrit en langue gauloise : 

« DOIROS SEGOMARI IEVRV ALISANU » (Doiros, fils de Segomaros a dédié à Alisanos[13]. Camille Jullian écrit à ce propos : « Deus Alisanus se retrouve à Couchey près de Dijon, connu par ses eaux minérales .... Je doute qu'il s'agisse d'Alésia » [14].

        En Côte-d’Or également, sur la patère en bronze trouvée à Viévy en 1881, on lit :

« DEO ALISANO PAVLLINVS PRO CONTEDIO FIL(IO) SVO V(OTVM) S(OLVIT) L(IBENS) M(ERITO)

(Au dieu Alisanus, Paullinus pour son fils Contedius, lui même, s'est acquitté de son vœu librement et à juste titre) 8. Il est intéressant de noter qu’à Viévy se trouve un moulin sur une rivière, dans un hameau nommé Auxerain.

        Une inscription avec la mention du Dieu Alisanus a également été découverte à Aix-en-Provence. « ] RUMO [...] VRONIS F (ILIO) [AL] ISANO [V (OTVM) S (OLVIT)] L (IBENS) M (ERITO)”. Sur la table de Peutinger, Aix (Sextius) est indiquée par le signe des villes thermales.

 

        Ernest Nègre cite de très nombreux cours d’eau ou de lieux dont le nom possède la racine préceltique alis [15].On peut citer entre autres :

        Alisincum est une localité mentionnée dans l'Itinéraire d'Antonin sur la voie menant d’Autun à Paris et de Clermont à Autun. Elle correspond probablement sur la table de Peutinger à Aquae Nisinei, Saint-Honoré-les-Bains dans la Nièvre.

        Alisentia est le nom gallo-romain de la commune d’Auzances dans la Creuse, où on décèle la présence de nombreuses sources. Autrefois la plupart des maisons du village disposaient d’un puits.

        Alisia est le nom que portait le village d’Elize dans la Marne, dans un document de 1130. Le ru d’Elize a sa source dans le village et se jette dans un ruisseau nommé Ante.

        Alzonne est un village de l’Aude qui tient son importance ancienne par la fertilité de son territoire, dont les cours d’eau arrosent la riche vallée. Cicéron le mentionne sous le nom d’Elisiodulum. Au pied du village, se trouve le lieu dit Font-Alzonne, désignant la source d’un ruisseau.

        Alisontia, ancien nom de la rivière franco-Luxembourgeoise l’Alzette, prend sa source non loin d’Audun-le-Tiche, où se trouve un temple gallo-romain dédié au culte des eaux.

        Alsona a donné Auzon, qui est le nom de huit rivières différentes sur le territoire français.

        L’Alzon est un affluent du Gard.

 

Alise, une ville d’eaux ?

 

        Dès l’année 1898, on mit à jour un ensemble de canalisations antiques dans la zone de la Croix Saint-Charles, sur la pente est du Mont Auxois. Les fouilles d’Espérandieu de 1909 à 1911, puis celles de Jules Toutain en 1931, ont permis de découvrir les fondations de plusieurs édifices, de période gauloise et gallo-romaines, liés au culte des eaux guérisseuses [16]. Ont été découverts, reliés par un réseau complexe de canalisations : un fanum octogonal, deux chapelles, un bassin en bois, une piscine à gargouille, des termes. Des fouilles, ont été exhumés de nombreux ex-voto en bronze ou en pierre, représentant diverses parties du corps, gravés pour des demandes de guérison ou en guise de remerciements aux divinités du lieu. Dans la chapelle carrée du sanctuaire, se trouvait la base d’une statue, la main et la tête de Sirona, déesse de la lumière lunaire, qui agit sur les eaux souterraines [17]. Le site de la Croix-Saint-Charles a été en activité jusqu’à la fin du IVème siècle.

        Deux autres sources ont une origine antique : la source Sous-le-Ret et la source Sainte-Reine.

        Plus d’une trentaine de puits ont été fouillés lors des recherches effectuées depuis 1906 sur la ville gallo-romaine située sur le plateau [18].

        Par la découverte d’une première inscription latine en 1652, on a pu connaître le dieu guérisseur d’Alise : Apollon Moritasgus. César nous révèle qu’Apollon est, comme chez les Romains (Apollo medicus), le dieu guérisseur des maladies [19].Une deuxième inscription, mise au jour en 1962, fait apparaître le nom de Damona, déesse des sources et des rivières [20]. Sirona et Damona sont souvent associées à Apollon dans le culte des eaux guérisseuses [21].

        Marcel Bolotte a décrit l’intense activité d’Alise autour de sa station thermale au XVIIe et XVIIIe siècles [22].

        Le dessinateur Sylvestre Israel, au XVIIème siècle, représente Alise avec des sources et une végétation luxuriante.

Représentation d’Alise par Sylvestre Israël au XVIIème siècle
Représentation d’Alise par Sylvestre Israël au XVIIème siècle

        

        « De grands personnages, la princesse de Conti, l’ancien roi de Pologne, notamment, s’y rendaient en pèlerinage, et prenaient les eaux. Un hospice fut crée en 1659 pour abriter les malades et il s’établit un florissant commerce d’eau d’Alise, qui dura jusqu’au début du 20ème sicle, grâce à son transport par les bateliers de la seine. La reine d’Autriche elle-même en usait et s’en trouvait bien [23].

 

 

 

Conclusion

 

 

        L’étude toponymique des mots Alésia et Alise nous invite, avec toute la prudence que requiert cette étude, à penser que ce sont deux mots d’origines distinctes, qu’Alésia n’a pas pu donner Alise avec le temps, et donc que l’argument d’une concordance des noms, pour affirmer qu’Alise et Alésia ne font qu’un, est sans fondement.

 

 

 

 

NOTES ET REFERENCES



[1] Site internet du Museoparc, alesia.com, lien alesia c’est où ?

[2] Voisin Jean-Louis, Alésia, Un village, une bataille, un site, Editions de Bourgogne, 2012, pp. 171 et 172.

[3] Mulon Marianne, Annexe I - Toponymie, in Alésia, André Berthier et André Wartelle, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1990, pp. 289 à 308.

[4] Gendron Stéphane, Les noms de la forteresse en Gaule, L'archéologue, n° 108 juin-juillet 2010, pp. 65 et 66.

[5] Reddé Michel,  L’archéologie face à l’imaginaire, Errance, Paris, 2003, p. 73.

[6] Lebel Paul, Principes et méthodes d’hydronymie française, Paris, 1956.

[7] Lebel Paul, « Autour du nom d’Alise », in Société des Sciences Historiques et Naturelles de Semur-en-Auxois, XXe congrès de l’Association bourguignonne des Sociétés savante 1949, 1953.

[8] Jullian Camille, Notes gallo-romaines : Alésia, in Revue des Etudes Anciennes, tome III, 1901.

[9] César, B.G., VII, 69 ; Strabon, Géographie, IV, 2.

[10] César, B.G., VII, 68.

[11] Nègre Ernest, Toponymie Générale de la France, vol. 1 : Formations préceltiques, celtiques, romanes, Genève, 1990.

[12] Lacroix Jacques, Les noms d'origine gauloise, la Gaule des dieux, Errance, Paris, 2007.

[13] Delamarre Xavier, Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, 2003.

[14] Jullian Camille, Histoire de la Gaule, VI, VI, XI, note 11.

[15] Nègre Ernest, op. cit.

[16] Le Gall Joël, Alésia, Archéologie et histoire, Fayard, 1963, p. 149.

[17] Ibid., p. 148.

[18] Jonathan Vidal et Christophe PetitL’eau sur le site d’Alésia : la contrainte hydrogéologique lors du siège de 52 av. J.-C., Revue archéologique de l'Est, Tome 59-1 | 2010.

[19] César, B.G., VI, 17 : « Ils ont de ces divinités à peu près la même idée que les autres nations : Apollon chasse les maladies … »

[20] Duval Paul-Marie, Les Dieux de la Gaule, Payot, 2002, page 58.

[21] Apollo Burbo et Damona à Bourbonne-les-Bains, Apollo et Sirona à Luxeuil-les-Bains par exemple.

[22] Bolotte Marcel, Alise-Sainte-Reine aux XVIIe et XVIIIe siècles: les pèlerinages, la station thermale, histoire de l'hôpital, librairie Le Meur, Dijon, 1970.

[23] Reddé Michel, op. cit., p. 73.