LE CAMP des deux légats

SUR LA MONTAGNE AU NORD

 

 

Un camp introuvable sur une montagne qui n’est pas au nord !

 

 

 

Carte réalisée par Pascale Guillou et Claude Grapin, dans Archéologia Hors-série n° 14 Museoparc Alésia, avril 2012, p. 16
Carte réalisée par Pascale Guillou et Claude Grapin, dans Archéologia Hors-série n° 14 Museoparc Alésia, avril 2012, p. 16

Carte 6 : le camp des deux légats est représenté au flanc sud-est du mont Réa 

 

 

PRESENTATION

EN REALITE

Où se trouve la montagne au nord ?

Que dit César ?

Que dit la géographie ?

Quelle étendue pour le mont Réa ?

Les castella sur le mont Réa

Les lignes de défense au pied du mont Réa

Où est passé le camp des deux légats ?

Un des fossés du camp D est un fossé de drainage

Nombre de fossés sont douteux

Le camp D n’a pas pu être attaqué par l’armée de secours

Le camp D au pied de la colline

Un camp finalement introuvable

CONCLUSION

NOTES ET REFERENCES

 

  

PRESENTATION

 

 

        Le mont Réa a été défini, depuis le XIXème siècle, comme étant la montagne au nord décrite par César dans sa relation de la bataille d’Alésia. Cette montagne a une importance stratégique considérable : trop vaste pour être incluse dans les lignes, elle est tenue par un camp de deux légions et c’est là, sur ses pentes, que la bataille décisive se déroule, voyant la défaite gauloise.

        L’abondance du matériel archéologique trouvé dans les différents fossés au pied du Mont Réa est présentée comme la preuve de l’importance des combats à cet endroit, et milite donc pour l’identification du lieu avec le site des derniers combats, c’est-à-dire le camp des deux légats. Ce camp a été nommé camp D sur la carte napoléonienne. Depuis les dernières fouilles, ce camp pose de nombreuses interrogations.  

 

 

 

EN REALITE

 

 

        Où se trouve la montagne au nord ?

 

Que dit César ?

 

        « Au nord était une colline que son trop grand périmètre avait empêché d’enfermer dans les lignes. On avait donc été obligé d’y former un camp, sur une pente douce, dans une assez mauvaise position. Les légats Caïus Antistius Reginus et Caïus Caninius Rebilus y commandaient avec deux légions[1]. »

        « Les Gaulois … consultent les gens qui connaissent le pays et apprennent ainsi la situation des camps supérieurs et leur genre de défense[2]. »

        « L’effort porte surtout sur les lignes supérieures, où nous avons dit qu’on avait envoyé Vercassivellaunos. La pente défavorable du terrain joue un grand rôle[3]. »

        Il ressort donc de ces données qu’au nord de l’oppidum d’Alésia se trouve obligatoirement une colline de grand périmètre, située en dehors des lignes de contrevallation et de circonvallation, comprenant un camp en légère pente, avec deux légions, en situation défavorable et en hauteur par rapport aux autres camps.

 

Que dit la géographie ?

 

        Le mont Réa n’est pas au nord du mont Auxois mais au nord-ouest. Pour Michel Reddé[4], les latins ne sachant pas exprimer les points cardinaux intermédiaires (Nord-est, Sud-ouest etc.) la montagne dite « au Nord » par César peut très bien être au Nord-ouest. Mais contrairement à ce qu’il affirme, le latin exprime fort bien des notions aussi élémentaires et lorsque César veut indiquer les points cardinaux intermédiaires, il l’écrit directement et précisément[5].

        Le premier à avoir compris que cela posait un problème au site d’Alise est le géographe Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville : faute de pouvoir changer le latin, il change la carte ! Sur celle qu’il publie en 1741[6], il fait pivoter le mont Auxois et ses collines environnantes, afin que le Mont Réa se retrouve pile au nord géographique de la carte. L’orientation de la carte est sciemment faussée pour l’adapter au texte de César.

        Seul Jacques Harmand a tenté de considérer la montagne de Bussy et non plus le mont Réa comme étant la montagne au nord[7]. Cette hypothèse présentant autant d’invraisemblances que la première[8], elle n’a pas été retenue.

 

Quelle étendue pour le mont Réa ?

 

        Si l’on compare les périmètres des collines entourant le Mont Auxois (les montagnes de Bussy et de Flavigny, les monts Réa et Pennevelle), le Mont Réa est la hauteur qui a le périmètre le plus petit[9]. Or César écrit bien « son trop grand périmètre ». Sachant que les lignes d’investissement passent sur les trois autres collines, pourquoi ne pas avoir investi la plus petite ?

 

Les castella sur le Mont Réa

 

        Sur son plan, Napoléon III a extrapolé deux castella sur le mont Réa (les 22 et 23). Or les castella sont des fortins de contrevallation[10], laquelle contrevallation ne peut pas passer par la montagne au nord car comme on l’a vu, celle-ci, de par son trop grand périmètre, n’a pas pu être enfermée dans les lignes ! On a là une contradiction insoluble entre le texte de César et le plan de Napoléon III.

        Joël Le Gall : « Le mont Réa a posé – et continue de poser – un problème insoluble au sujet des camps… Les castella 22 et 23 sont purement fictifs[11]. »

 

Les lignes de défense au pied du Mont Réa

 

        La contrevallation et la circonvallation décrites dans la plaine de Grésigny, s’interrompent au pied du mont Réa, alors qu’elles devraient, à en croire César, le contourner afin de laisser cette colline hors des lignes d’investissement. Sans que cela puisse être expliqué, les lignes venant du sud s’interrompent au pied de son flanc sud et les lignes venant de l’est s’arrêtent au bas de son flanc sud-est. Et au bas du flanc sud, les lignes montantes trouvées au XIXème siècle sont ininterprétables[12].

 

 

        Où est passé le camp des deux légats ?

 

La limite est du camp D est un fossé de drainage

 

        Au pied du mont Réa, les prospections géophysiques des dernières recherches[13], ont mis en évidence deux fossés de drainage. Ainsi, la limite est du camp D s’est révélée être un de ces fossés modernes. « On peut donc conclure sans hésitation à l’existence dans ce secteur d’un réseau assez serré de drainage moderne dont un exemplaire, participant à la configuration du camp D, a été interprété à tort comme césarien par les fouilleurs de Napoléon III[14]. » 

 

Nombre de fossés sont douteux

 

        Sur le flanc sud du mont Réa, les dernières fouilles effectuées ont révélé un système complexe de traces d’origines diverses : chemins anciens, anciens pieds de vigne, dessouchages, drains agricoles, tranchées de sondage napoléoniennes, ressauts naturels.

        « Les fossés, disposés dans tous les sens, et probablement de nature hétérogène, avec des chronologies diverses, n’offrent pas ici une forme fermée, à la différence des autres camps, ce qui a toujours suscité des doutes dans le monde scientifique[15]. »

        « Au pied du Réa, c’est le camp D qui est aujourd’hui mis en cause, au moins dans sa topographie traditionnelle, car il constitue lui aussi un montage artificiel de structures hétérogènes[16]. »

        « L’existence du camp D, surtout identifié en raison du matériel trouvé dans les fossés au pied du Réa, ne peut plus être sérieusement soutenue. Sa configuration résulte en effet de l’association de fossés dont certains ne sont pas césariens[17]. »

 

Le camp D n’a pas pu être attaqué par l’armée de secours

 

        Sous le second empire, une très grande quantité de matériel numismatique et d’armes a été retrouvée dans deux fossés de contrevallation. L’un forme la limite sud du camp D au pied du Mont Réa[18]. Michel Reddé indique très justement à propos de l’armée de secours : « celle-ci venait de l’extérieur, et ne peut s’être heurtée aux défenses de la ligne intérieure de contrevallation[19]. » On ne peut donc pas assimiler le camp D avec le camp attaqué par le corps de 60 000 hommes de l’armée de secours.

 

Le camp D au pied de la colline

 

La lecture du texte césarien nous indique une position supérieure pour les camps de la montagne au nord. Le camp D est situé au pied de la colline, en contradiction avec l’appellation de « camps supérieurs ». De plus, aucune reconnaissance aérienne ni aucune recherche sur le terrain n’ont permis de reconnaître de camps sur la partie haute du mont Réa.

 

Un camp finalement introuvable

 

        On suppose maintenant le fameux camp dans la pente du Réa[20], sans autres preuves archéologiques que des artéfacts dispersés et sans contexte, et des fouilles menées sur le flanc sud-est du Réa[21]. Ainsi, trois structures sont marquées comme fossés césariens sur le plan de fouilles[22], en contradiction avec la conclusion qui indique : « En l’absence de reconnaissance plus approfondie, leur rattachement au système du siège est hypothétique[23]. »

        « Au total, le dossier ne se trouve donc guère éclairci. L’attribution du seul segment sûr à une structure précise (ligne défensive ou camp ?) est impossible et l’identification d’autres anomalies avec le siège césarien reste aléatoire[24]. »

 

       

 

CONCLUSION

 

        Le mont Réa ne correspond pas à la montagne au nord car :

  •  Il n’est pas au nord de l’oppidum ; 
  •   Son périmètre est le plus restreint par rapport aux autres collines ;
  •  Les lignes d’investissement de la plaine de Grésigny s’arrêtent brutalement à son pied, alors que la logique du siège voudrait qu’elles rejoignent celles de la plaine des Laumes en le contournant.

        Le camp D ne correspond pas au camp des deux légats car :

  •  Il est en bas de la colline ;
  •  Les armes et les monnaies attribuées au contingent de Vercassivellaunos ont été retrouvées dans le fossé intérieur du camp alors que les Gaulois attaquaient celui-ci de l’extérieur ;
  • Les fossés qui le composent n’ont pas été attestés archéologiquement.

        Sur les cartes du Muséoparc[25], le camp des deux légats est représenté sur le flanc sud-est du mont Réa, à un endroit extrapolé mais non confirmé archéologiquement, sur une zone où les lignes de niveau très rapprochées attestent d’une forte pente, ce qui est contraire à la description de césar d’une part (« en légère pente »), et à la logique d’un campement militaire.

 

        Ainsi le dossier de la montagne au nord et du camp des deux légats, qui a vu la phase finale et décisive de la bataille d’Alésia, malgré deux séries de cinq et sept ans de fouilles, reste désespérément vide.

 

 

NOTES ET REFERENCES



[1] César, B.G., VII, 83.

[2] Ibid.

[3] César, B.G., VII, 85.

[4] Reddé Michel, Le siège d’Alésia, Récit littéraire et réalité du terrain, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., Fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du mont Auxois (1991-1997), Mémoire de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 2001, 1, 489-506, p. 498.

[5] César, in B.G., I, 1, écrit, pour exprimer le fait que la Gaule est orientée vers le nord-est comme il le pensait : « Elle [la Gaule] regarde entre l’orient et le septentrion ».

[6] Plan d’Alise, levé par Jourdain et publié par Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville, in Reddé Michel, Alésia, L’Archéologie face à l’Imaginaire, Hauts Lieux de l’Histoire, Errance, 2003, p. 72.

[7] Harmand Jacques, Une campagne césarienne, 1999, p. 217.

[8] Eloignement excessif de la plaine des Laumes, absence de découvertes d’armes et de monnaies en grande quantité.

[9] Le Mont Réa fait environ 7 km de circonférence pour une altitude de 375 m, la montagne de Bussy 14 km pour 418 m, la montagne de Flavigny 12 km pour 430 m ; quant au mont Pennevelle, il s’étire loin vers le sud-est entre l’Oze et l’Ozerain, pour une altitude de 430 m.

[10] César, B. G., VII, 69.

[11] Le Gall Joël, La bataille d’Alésia, Paris, 2000, p. 57.

[12] Reddé Michel, Alésia, L’Archéologie face à l’Imaginaire, Hauts Lieux de l’Histoire, Errance, Paris, 2003, pp. 162 et 163.

[13] Joly Martine et Barral Philippe, La plaine de Grésigny et le Mont Réa, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 409-471, pp. 412 à 416.

[14] Ibid., p. 433.

[15] Von Schnurbein Siegmar, Camps et castella, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 507-513, p. 507.

[16] Reddé Michel, Bilan d’une recherche, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 557-562, p. 558.

[17] Joly Martine et Barral Philippe, op. cit., p. 468.

[18] Joly Martine et Barral Philippe, op. cit., pp. 409 à 412.

[19] Reddé Michel, Introduction à l’étude du matériel, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 2, 1-9, p. 6.

[20] Reddé Michel, Alésia, L’Archéologie face à l’Imaginaire, Hauts Lieux de l’Histoire, Errance, Paris, 2003, p. 162.

[21] Joly Martine et Barral Philippe, op. cit., p. 470.

[22] Ibid., fig. 265, p. 463.

[23] Ibid., p. 467.

[24] Ibid. ,p. 470.

[25] Grappin Claude, Voisin Jean-Louis et Guillou Pascale, Le siège d’Alésia, Archéologia hors-série n°14, 14-17.